Julien Doré - Mardi 12 août
- © Yann Orhan
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Ça n’aura échappé à personne : un slash fend le O de Løve, le titre du troisième album de Julien Doré. Tout n’est pas dit, n’exagérons rien, dans ce signe particulier d’origine scandinave plutôt finaude, mais enfin. C’est une indication sur le bonhomme, une boussole pour l’album. Un sauf-conduit pour la carte du tendre géographiquement ancrée dans le flot des chansons.
Tout concorde dans ce projet artistique global : l’amour, bêtement (mais ne sommes-nous pas toujours bêtes quand on est amoureux ?), en est le fondement, et les chansons (12 au total) en seront les fondations. Alors qu’il les écrit, chez lui à Paris, ou à l’hôtel, Thérèse, l’esprit vagabondant autour de Love, il se souvient de son voyage à Viborg et du mot Løve qui l’avait marqué et imprimé sa rétine. Aussitôt le graphisme du titre, sa typo* prennent forme : ce sera Løve.
Le hasard ne fait bien les choses que si on sait les attraper au vol : c’est ainsi qu’elles se font dans le monde de cet ancien des Beaux-Arts de Nîmes : Julien Doré entend des images qui lui chantent à l’oreille et voit des sons qui lui soufflent des couleurs. Du signe au signifiant, tout est traits d’union.
Peu après, il apprend que, dans la langue de Lars Von Trier, ø veut dire île et, tenez-vous bien, que løve signifie lion ! D’un coup, tout fait sens : chaque chanson devient un îlot d’amour, dont l’album est l’archipel. Et, bien sûr, l’amour ne peut être qu’animal. Dans le bestiaire personnel de Julien, qui alimente autant son lexique que son iconographie, le roi des animaux sauvages s’ajoute au Bichon domestiqué de l’album précédent et à la ménagerie à plumes et à fourrure du premier Ersatz. Le lion sera son double profilé sur la pochette de l’album où, dans un jeu de miroir, l’animal regarde son titre, qui est à la fois lui et amour, cependant que l’artiste observe à l’identique les titres qu’il a écrit, et qui le constituent. A votre tour de regarder la pochette et d’y voir ce qu’il entend par là, et inversement. Ou, après tout, ce que bon vous semble.
Car pour la première fois Julien Doré se livre, sans atèle ni succédané, lui qui est entré en chanson sur la pointe des pieds par un Ersatz de « Nouvelle Star » (que surtout, il ne renie pas). Oui, cette fois, il a osé, dans un élan, écrire toutes les chansons (à l’exception d’une, Mon Apache, signée Arman Méliès pour poursuivre un compagnonnage né sur Bichon), épaulé pour la compo par « ses gars » (comme il les appelle toujours). Ceux-là mêmes qui ont confectionné l’album à ses côtés : Baptiste Homo
(batteur de son premier groupe Dig up Elvis et son coloc aujourd’hui) & Clément Agapitos, du duo électro Omoh, Darko Fitzgerald, avec son batteur Mathieu Pigné (du groupe Darko), et Julien Noël, son pianiste depuis le premier album.
Avec eux, il a retrouvé le goût du groupe, compris qu’à côté de sa solitude chérie, il n’était rien sans les autres. Ensemble, isolés aux Studios La Fabrique, à Saint-Rémy de Provence, dans son Sud tant aimé qui lui fait ouvrir les « o » comme un soleil, ils ont construit l’album : « Une histoire d’hommes, reconnaît-il, qui se connaissent, s’entendent, se comprennent, s’imbriquent. Ils m’ont enveloppé. » Seulement entamée par 2 featuring féminins (Brigitte sur Habemus Papaye et Micky Green sur Chou Wasabi), ce qui ne fait, c’est vrai, pas bombance question parité, mais recette question qualité.
Løve est traversé d’un credo en 4 mots répétés à l’envi tout au long de l’enregistrement par Julien à ses gars : « Sexy, solaire, mélodique, produit ». Et par le fait, ça peut parfois se danser (Paris-Seychelles, Hôtel Thérèse, Chou Wasabi), même si on ne sait pas toujours sur quel pied.
C’est la beauté de cette ambigüité, qu’il reconnaît et pourtant l’embarrasse, lui qui voudrait n’être qu’animalité et prétend ne s’être jamais, pendant ses 5 ans aux Beaux-Arts, senti aussi libre que lorsqu’il a empoigné sa guitare au soir de son diplôme pour son premier concert officiel avec son groupe Dig up Elvis ; celui-là qui proteste du bonheur qu’il a eu pendant 6 ans à parcourir les kilomètres au volant du camion d’une entreprise de services (Placo, déménagement, maçonnerie), même s’il devait se lever tous les jours à 6 du mat, parce qu’il avait le sentiment de servir à quelque chose sans avoir à y réfléchir. Le travail accompli.
Ce Julien natif d’Alès rêverait d’être le contraire de ce qu’il est : costaud des Batignolles plutôt qu’intello, spontané plus que réfléchi ; alors qu’il se situe au centre et que c’est l’addition de ces contraires qui constitue sa création.
Comme ce « ø », pour en revenir au début, qui pourrait figurer le coeur brisé de Løve : Julien n’entend aucune tristesse dans l’album, quand les textes ne sont que ruptures et abandons et que les mélodies sont si souvent déchirantes. Tout juste reconnaît-il la mélancolie. « J’ai écrit les textes dans l’énergie, dit-il, sans compliquer pour chercher la rime. Oui, ce sont des amours rompues mais je n’ai voulu en garder que ce qu’il reste de beau, les plus belles images, les levers de soleil, même s’il finit par se coucher. Dans ce disque, le groove vient essuyer les larmes. »
Il commence fort, faut dire, dans Viborg qui ouvre l’album : Et à la fin crevons / Crevons d'être trop riches, crevons d'être trop gras, crevons d'être trop cons / Pour que Viborg nous dise / Nous dise d'être émus / Nous dise qu'on existe / Mais qu'on ne s'aimera plus.
Comme de coutume, Julien les situe et nous emmène à Viborg au Danemark (le « ø » d’en haut), aux Seychelles, en Espagne et Colombie, à Tokyo et St Hilaire, à Angoulême et Rome, à Londres et Praslin, à Cherbourg et Séville ou la mer morte, et bien sûr à Paris. Les endroits sont toujours ceux où les amarres ont été larguées, jamais inventées pour la rime ou l’exotisme.
L’écriture est serrée, une poésie articulée, sans envolée d’écharpe, avec des ellipses ou des détails qui plantent le décor et disent l’absence : ici un cheveu laissé sur un lit ou là une robe Chanel désincarnée dans un dressing. Des mots simples qui se tiennent pour dire des promesses non tenues (On s'était dit des choses que l'on ne tiendra pas, in Paris-Seychelles, On attendra l'hiver / pour s'écrire qu'on se manque / que c'était long hier / que c'est long de s'attendre, in On attendra l’hiver), ou des adieux non prononcés (Mon coeur te croyait morte, toi qui lui as donné la vie, in Hôtel Thérèse).
Les animaux ? Présents un peu partout à l’habitude, comme les grands témoins des beaux et mauvais jours ou des images allégoriques de son cerveau reptilien. Et que dire de Platini, sublime et culottée déclaration d’amour au géant vert des Bleus et de la Juve, où Julien ose cette association iconoclaste qui a fait date depuis Liverpool et qu’il se réapproprie d’une reprise de volée avant le banc de touche : « Michel, ma belle ». Une ode au ballon rond sur une mélodie crève-coeur, comme jamais le football n’en avait connue. Au point que lorsqu’on lui demande s’il l’a faite écouter à l’intéressé de l’UEFA, la réponse est sensée : « Déjà, je lui fais une déclaration d’amour, je ne vais pas en plus prendre le risque de me prendre un râteau ! » Tu m’étonnes !
Platini n’est pas la seule (mélodie crève-coeur), il y en a à la pelle, avec des choeurs à l’appel pour les densifier. Il les a toutes écrites sur son Casiotone et son Wurlitzer (« pour les éclairer »), aucune à la guitare. « Les solos de claviers, le moog monophonique, ça me fait du bien, confesse-t-il. On est sur la corde du ringard, le côté 90’s, j’ai tenu à les jouer moi-même. Darko et Omoh en contraste, ont plus de profondeur, leurs musiques sont plus atmosphériques. »
Baptiste a fait l’homme-orchestre : guitares, claviers, percussions. Les choeurs de voix féminines, ces envolées éthérées autour du chant en fréquence basse de Julien, c’est lui aussi, et lui encore avec Clément à la base et basse de la plupart des arrangements. S’ils étaient Anglais, on dirait que c’est de la pop baroque, mais comme ils sont Français, on va plutôt dire que c’est… De la pop baroque. Pas british, mais fortiche.
On sait les tatouages qui marquent sur son corps les étapes de sa vie : Artist, Dig Up Elvis, The Jean D’Ormesson’s, Baie des Anges, Dada, etc. La question, maintenant, est de savoir si Løve va les rejoindre ? L’album, nous semble-t-il, le mérite, en bonne place. Si vous le croisez, pensez à lui demander. Et à quel endroit, surtout ? Ça devrait lui faire une belle jambe, non ? Si.
Spectacle payant.
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